Munartis
par le 25/07/24
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Je suis switch. C’est difficile à dire, ça, « je suis switch ». Surtout si on est Belge, et qu’on prononce « je souis switch ». Ça fait beaucoup de mouvements de la mâchoire – bon, ça peut toujours faire un peu d’entraînement pour le port d’un bâillon. Ou alors si on a du sexe oral en Helvétie : « je suis sucé par un Suisse switch ». OK, je m’arrête là avant que ça ne dérape encore plus…
En tout cas, ce n’est pas un mot très joli, « switch », et puis c’est un anglicisme. Est-ce qu’on n’arriverait pas à trouver, dans notre belle langue de Molière, un terme équivalent ? Je suis intervertisseur, inverseur ? Je suis échangeur (d’autouroute), échangiste (c’est déjà pris !)… Une traduction littérale serait « interrupteur », c’est mignon mais ça ne fonctionne pas vraiment non plus. C’est un peu mieux si on passe sous une forme active : j’aime intervertir les rôles, j’apprécie d’échanger. Ça présente au moins l’intérêt d’éviter d’essentialiser la posture, à l’image de toutes ces femmes « soumises » qui précisent avoir la pulsion de se soumettre, mais ne pas être pour autant la soumise du premier dominateur autoproclamé venu : elles pourraient dire « je suis une femme qui apprécie de se soumettre ». Mais, pour plus exact que ce soit, c’est un tantinet lourdingue.
A tout prendre, et à défaut de d’être académicien, je propose « renverseur ». Ça ajoute une petite connotation coquine, on sent qu’avec un-e renverseur-se on va se faire culbuter, que l’expérience va être renversante… Ou alors un côté « brat » (tiens, il faudrait aussi lui trouver une autre traduction que « sale gamin-e », à celui-là) : la rébellion, le renversement nous guette. Allons-y alors, je suis un « Homme renverseur » : comment on change son profil sur le site ?

Je suis switch, mais bon, ce n’est pas si facile à dire. C’est que le fait d’apprécier « renverser » ne me définit pas très bien, il y a des personnes avec qui je me sens assez nettement soumis, d’autres auprès de qui la posture de domination me semblera très naturelle… Et pourtant, même dans ces situations relativement claires (il y en a d’autres qui le sont moins), je sais que j’aurai besoin un jour ou l’autre d’inverser les rôles. Est-ce que c’est ce besoin de ne pas figer les rôles qui caractérise le plus ma posture, voire ma personnalité ? N’est-il pas étrange de se définir par l’absence de polarisation ?
Je pourrais aussi bien dire que je suis BDSM-fluide, c’est-à-dire que je m’adapte assez facilement à la personne avec qui je pratique… Même si le terme est moche, ça décrit bien le côté vivant, sans a priori, qui à mon sens contrebalance un peu les inconvénients liés au fait d’avoir une fesse sur chaque chaise.
Dans un sens, j’envie un peu les gens qui se sentent, au moins en apparence, dominants ou soumis sans aucune ambiguïté. C’est qu’il y a l’air d’y avoir chez ces personnes une forme de certitude dans le désir, que je ne possède pas souvent et qui parfois me manque. Etre switch serait-il une manière d’essayer de faire de mes doutes une force ?

Je suis switch, et c’est difficile de dire d’où ça me vient… Si j’essaie de faire un peu d’introspection, il me semble que ma sexualité puérile et adolescente s’est plutôt construite sur des fantasmes de soumission, mais cela a été très fortement remodelé par la suite. Je n’exclus pas du tout que mon côté dominateur ait été assez largement insufflé par des injonctions sociétales : être un homme, ça veut dire être puissant, prendre les choses en main, maîtriser la situation. Et puis, la pornographie que je suis allé chercher pour m’aider à construire cet univers érotique quand même assez particulier (et dont j’ai longtemps eu honte) ne me proposait que des situations de soumission féminine, et je les ai adoptées sans l’ombre d’une hésitation.
Cette pression sociale est colossale, et à mon avis souvent déterminante, bien qu’inconsciente. Rien que pour ça, j’ai de l’admiration et de l’affection pour les hommes qui se soumettent et pour les femmes qui dominent : ça me semble courageux de tenir ces positionnements qui vont à contre-courant des rôles que la société nous enjoint à jouer. Etre switch me permet alors de satisfaire à l’occasion mon penchant pour la subversion sociétale, à moindres frais…
Plus sérieusement, j’apprécie la proposition d’Alexandre Lacroix, qui suggère « d’organiser la circulation du pouvoir » dans la sexualité, par exemple en alternant les postures de domination – dans une optique de déconstruction des injonctions liées au système patriarcal (écouter par exemple : https://www.arteradio.com/son/61672389/doit_on_apprendre_faire_l_amour).
Dans le même ordre d’idées, je constate que j’ai plutôt envie de soumettre des femmes que j’identifie comme puissantes, et qu’à l’inverse le fait de m’offrir renforce la sensation de ma propre puissance : paradoxal, non ? Mais pour qu’il y ait domination et soumission, il faut bien un « matériau », et celui-ci est produit par l’épaisseur de personnalité et par la densité physique, à mon avis en tout cas.

Je suis switch, et ça me semble un peu difficile à dire. Sur ce site, je veux dire. La plupart des personnes inscrites se déclarent dominatrices ou soumises, et j’y perçois un sentiment diffus qu’être switch c’est un peu louche, c’est un truc de débutant-e, de personnes qui n’ont pas encore choisi leur camp. Sur la base de ce que j’explique de ma psyché un peu plus haut, d’aucuns diront sans doute que je suis une sorte de soumis inavoué, refoulé, et qu’un de ces jours je ferai mon coming-out. Et je ne suis pas spécialement pressé de leur donner tort ou raison, ça me convient de cheminer.
Je pourrais éventuellement dire que je suis « dominateur par empathie », c’est-à-dire que ce qui me plaît dans la posture Dom, c’est de faire vivre à ma partenaire une expérience de soumise que j’imagine délicieuse, parce que je m’imagine en train de la vivre. Mais justement, c’est plus compliqué que ça : mes désirs se sont si fortement entremêlés, et depuis si longtemps, que je ne me satisferais probablement pas de me définir uniquement en tant que soumis, toute une partie de moi serait amputée.
Se définir en tant que « renverseur », c’est donc aussi revendiquer le droit à ne pas figer les choses, dans un monde où on se retrouve vite assigné-e à une fonction unique, où les perspectives d’évolution sont minces. On pourrait dire que ça revient à ne pas trouver le courage de choisir. Pour ma part je préfère penser que c’est une manière d’avoir le courage de garder ouvertes les perspectives !

Je suis switch, facile à dire… mais peut-être difficile à faire ? Comment s’y prend-on, en pratique, est-ce qu’on échange les rôles tous les jours, toutes les semaines, tous les ans ? C’est souvent soit trop long, soit trop court, comme le décrit la narratrice de ce podcast très instructif : https://www.youtube.com/watch?v=uxCj249zCcU
Alors, alterner au sein d’une même séance, d’un rapport sexuel ? Il faut savoir faire preuve d’une certaine souplesse, et ça exclut peut-être les pratiques trop « engageantes »… Mais pour l’instant c’est ça qui fonctionne le mieux pour moi, et il peut y avoir un aspect « revanche » qui ne manque pas de piquant : profite bien du moment où tu as l’ascendant, et méfie-toi de ce qui t’arrivera après !
Et puis, ça suppose de pratiquer avec une personne switch également, et là c’est un peu limité en ce qui me concerne. Mon amoureuse a un vrai côté dominant, que j’essaie de l’aider à assumer, mais elle se trouve vite mal à l’aise en tant que soumise, si bien que mon côté « pervers », mon désir de la pousser à sa limite est souvent frustré. J’avoue que je ne sais pas trop quoi faire de ça pour l’instant, j’espère que ça pourra évoluer, et je ne m’interdis pas de pratiquer (sans relation sexuelle) en-dehors du couple en attendant.

Bref, je suis switch, et j’invite tous-tes les switchs du monde à clamer avec moi, très vite et plein de fois d’affilée : « je suis switch ! »
 

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P.S.: Grand merci à @La Louve de m'avoir fait découvrir les ressources partagées dans cet article !

15 personnes aiment ça.
sylvie35
"Je suis switch Suisse sachant chausser l'archiduchesse" 1f602.png Bel humour pour aborder des questions profondes 1f44d.png La psychologie est complexe et souvent difficile à rationaliser. Pour moi c'est tout le contraire: si ma place dans la relation n'est pas parfaitement claire, cela me perturbe énormément. A tel point que même le simple fait de passer d'une relation vanille à une relation D/s me semble insurmontable psychologiquement. J'avais demandé à mon premier Maître - et pareil avec mon Maître actuel - de me placer en position de soumise tout de suite, dès la première rencontre, sinon je savais que ce serait très très compliqué pour moi. A contrario, je ne ressens pas de difficulté à passer du contexte professionnel où je dois, d'une certaine manière, me faire respecter, au contexte privé où je dois être 100% obéissante, docile et disponible. Allez y comprendre quelque chose... Je me suis même surprise à me sentir très à l'aise devant un amphi d'une centaine d'étudiants, à l'occasion de quelques enseignements que j'ai donnés récemment, alors que je suis timide de nature et soumise dans l'âme. Le psychisme n'est vraiment pas facile à comprendre et semble très paradoxal, donc il n'est pas dit que vous trouviez un jour des réponses totalement rationnelles aux questions que vous évoquez. Mais bon, le principal est d'être heureux 1f642.png
J'aime 25/07/24 Edité
Munartis
Merci pour votre retour et ces témoignages complémentaires. En écrivant je pensais souvent à vous comme "l'antithèse du switch", j'avais compris que pour vous un bénéfice important de la relation D/s est justement cette clarification de la place de chacun-e... Et que c'est donc à peu près impensable de "renverser" la situation. C'est sûr que la psyché humaine est complexe, les pratiquant-es du BDSM se donnent un peu plus d'occasions que les autres de l'arpenter !
J'aime 25/07/24
Sombre Orchidée
Je découvre avec le plus grand plaisir ce texte, et les mots me manquent pour le commenter : c'est à la fois drôle, intelligent et sensible... Je résiste à l'envie de filer dévorer les autres, afin de prendre le temps de savourer celui-ci. Mais soyez assuré que j'y reviendrai 😉. Merci pour le partage !
J'aime 26/07/24
Louvia
Ce texte est une petite pépite! Merci pour ce partage, qui m'a aidé à mieux comprendre le fonctionnement switch, qui m'échappait complètement ^^.
J'aime 26/07/24
Munartis
Mille mercis Sombre Orchidée, Louvia, vos compliments me vont droit au cœur! Je mets en effet un peu d'application dans mes écrits, et c'est précisément pour que des personnes de qualité prennent plaisir à les consulter, alors quand je vous lis, j'ai l'impression d'avoir atteint mon objectif. @Louvia: je ne prétends pas être représentatif de l'ensemble des "renverseur-ses"! : oui, prenez le temps, je ne publie pas si souvent que ça, il n'y a pas trop de risque d'en rater !
J'aime 27/07/24
gitane sans filtre
Excellent autant la recherche de définition, l'humour que de traiter ce sujet Alors j'ai des amis Switch qui ont été dominant ou soumis et ensuite ont évolué (donc pas forcément débutants) Je pense aussi qu'on est tous Switch dans notre vie (renverseur ?) , je suis plutôt dominante dans ma vie publique et très autonome et indépendante par exemple. Et pareil que Sylvie35 très à l'aise à prendre la parole dans mon travail, en amphi ou devant 100 personnes, alors que très timide et réservée J'apprécie beaucoup votre cheminement et cet aspect Dominateur par empathie, et je vous souhaite de trouver l'équilibre dans ce que vous êtes
J'aime 27/07/24
Azhara
" je ne suis pas switch " ^^ mais, je les aime bien quand même... à présent ! ^^ C'est grâce à ce site et certains échanges ici que j'ai mieux compris cette posture. Votre article met bien en avant toutes les possibilités des renverseurs (j'adore votre trouvaille). Moi à la base je voyais les switch comme uniquement des profiteurs de sexualité variée sans y voir aucunement une forme de Domination /soumission plus...cérébrale je dirais. J'essaie de ne pas partir dans tous les sens, mais j'ai beaucoup aimé également votre partie sur l'admiration aux femmes Dominantes et aux hommes soumis, comme un renversement du schéma patriarcal de la société. Moi qui avait autant de mal à comprendre les hommes soumis que les switch en arrivant ici. (Mais pas les femmes Dominantes.) J'ai toujours du mal à imaginer un homme dans un rôle " soumis " comme si ça faisait de lui pas un vrai homme. Mais je me soigne ! Je suis consciente de l'atrocité de mon raccourci hein, (C'est mon honnêteté qui parle), et de l'ancrage du schéma sociétal dans ma petite tête. Et puis heureusement, il y'a des textes comme le vôtre aujourd'hui qui vient mettre un sacré bazar dans mon système de pensées. J'adore quand ça me fait ça et que ça met en exergue des pensées que je n'aime pas avoir (Mettre les gens dans des petites cases, faire des raccourcis stupides... ...) ou que j'aime avoir : la certitude d'avoir besoin d'un cadre D/s dans lequel je sais parfaitement où est ma place. Et quand je vois tout le cheminement et les questions par lesquelles je suis passée en étant convaincue d'être uniquement soumise, je me demande vraiment de quelles manières les renverseurs peuvent régler toutes leurs interrogations ! 1f642.png C'est superbement bien écrit, je me suis régalée à vous lire... Merci beaucoup et désolée pour certains passages de ma part qui doivent faire hérisser des poils, je le comprends. (Petite tête gênée) Et je me fais un mémento ici pour voir les liens partagés plus au calme. Ah et rien à voir mais j'ai trouvé ultra courageux votre dernier post sur le forum...
J'aime 27/07/24 Edité
Munartis
Mille mercis, Gitane sans filtre, Azhara, c'est un plaisir d'écrire en imaginant un tel lectorat ! Vos commentaires m'incitent à surmonter ma flemme de m'y atteler, et ma timidité à publier. Pas de souci Azhara, je ne m'offusque de rien, ce d'autant qu'il y a encore une fois autant de perceptions du BDSM que de personnes qui le pratiquent. Mon texte a certes une vague ambition de constituer une sorte de "manifeste du switch", mais il est surtout là pour apporter un témoignage à titre personnel. Si d'autres peuvent s'y retrouver, très bien, mais je ne prétends à aucune généralité, et ne prends rien contre moi. En ce qui concerne donc la posture d'homme soumis, j'ai l'impression qu'il y a là quelque chose de paradoxal: c'est difficile à assumer parce que ce n'est pas ce qu'on attend d'un "vrai" homme, et par conséquent un certain nombre d'hommes soumis semblent tomber dans une posture avilissante, se traitant eux-mêmes de "lope", de "mois que rien", ou que sais-je encore... Comme si l'existence d'une pression sociétale à la virilité pour les hommes produisait une binarisation du positionnement: soit tu es un mec, un vrai, un dominant, soit tu es une sous-merde destinée à servir de paillasson aux femmes. Et les postures nuancées sont plus difficiles à trouver, celles pourtant que les femmes sur ce site revendiquent souvent dans un discours du type: "je suis une personne à part entière, et j'ai la pulsion de me soumettre". Ce que j'ai lu de meilleur à ce sujet de la posture d'homme soumis vient de chez Carpo: https://www.bdsm.fr/blog/8318/Ma-soumission-:-un-acte-de-foi-fou,-actif-et-cannibale/ Ce que j'essaie de décrire dans l'article, c'est que peut-être qu'être switch est une manière de m'en tirer à bon compte: je m'autorise à explorer mes éventuelles pulsions de soumission, sans renoncer au plaisir de surfer sur l'injonction sociétal à être viril. Et en vrai, j'adore ça en plus, être viril, dominant - et au final je trouve que ça donne beaucoup plus de valeur à ma volonté de me soumettre, quand elle émerge.
J'aime 29/07/24
Munartis
@Azhara: carrément "ultra courageux", mon post sur le forum ? Houla, est-ce que ça veut dire que j'ai pris des risques dont je n'avais pas conscience ?? Qu'il s'agit d'un sujet tabou ?
J'aime 29/07/24
sylvie35
Je ne suis pas convaincue que les hommes "soumis" qui se présentent comme des "lopes", des "sous-merdes", ..., soient réellement soumis. Ce que l'on constate (en regardant leurs profils et en lisant ce qu'ils expriment parfois sur le forum) c'est qu'ils arrivent très vite avec toute une liste d'exigences, de pratiques plus ou moins crades (plutôt plus que moins 1f602.png), que la Maîtresse devra leur "imposer". Je le perçois comme une recherche de prestation de service destinée à assouvir des instincts pervers, possiblement ponctuels et quand ça les arrange, mais pas vraiment comme de la soumission car ils s'en fichent de la Maîtresse et honnêtement je pense qu'ils n'ont aucun respect pour elle. Les hommes qui ont une démarche de soumission qui a du sens ne se présentent pas comme ça, ils ont du respect pour eux-mêmes et pour leur Maîtresse. Voilà, c'était l'avis d'une experte en expertise 1f602.png1f602.png1f602.png
J'aime 29/07/24
Good Girl 佩玲
La vache, j'ai suivi un lien et je suis...sur les fesses! Très jolie plume, merci pour les sourires et les francs fous rires. J'admire votre regard sans complexe qui en dit long sur la connaissance que vous avez de vous-même.
J'aime 05/08/24
Laidy Sienne
Merci pour ce joli article, bien tourné, drôle et instructif. On en voudrait plus souvent.
J'aime 04/09/24
Lady Spencer
Au fil d'une trentaine d'années en BDSM, j'ai surfé sur l'évolution des pratiques et surtout sur l'acceptation de rôles qui faisaient l'objet des plus vives critiques. Les Switchs étaient rejetés, jugés, critiqués. Des gens indécis donc potentiellement dangereux, c'était ainsi qu'ils étaient reçus. Je vois une réelle acceptation aujourd'hui ou tout au moins, une absence de jugement à la noix avec des poncifs inacceptables. Je ne suis absolument pas Switch mais j'en fréquente beaucoup, et s'il y a bien un profit à être Switch, c'est d'aimer vivre les émotions d'un côté ET de l'autre de l'ordre. La vie est courte : profitons juste de tous ses plaisirs. Donneur ET receveur.
J'aime 05/09/24